Quand je serai grande, je changerai tout

Traduit de l'ALLEMAND par MICHEL-FRANCOIS DEMET

À propos

Depuis quelque temps, un prisonnier qui appartient aux Allemands travaille au champ. On m'a dit d'aller lui apporter du café parce que lui aussi, c'est un être humain. Au début j'ai eu peur, parce que le prisonnier est un ennemi. Mais il était tranquillement assis sur une pierre, les mains sur sa pelle, ses yeux étaient fatigués et silencieux, rien ne riait, son menton était gris, tout était triste. J'étais là avec mon café, le ciel était grand et bleu et le champ brun sans fin. Pas un oiseau ne volait. La casquette du prisonnier était posée par terre, ses cheveux étaient comme de l'herbe fanée et s'agitaient dans le vent. Il voulait rentrer chez lui, sûrement. Il vient d'un autre pays. Les autres pays sont loin d'ici, je ne les ai pas encore vus à l'école mais mon père me l'a dit.
Si au moins je pouvais parler avec le prisonnier. J'ai cherché dans les mots étrangers que je connais, il y en a quelques-uns. J'ai dit : « Sésame, ouvre-toi, Abdullah, vodka, Oh là là mademoiselle, État libre du Libéria. » Le prisonnier m'a regardée sans rien répondre, mais il m'a fait un signe, et il a bu son café.
En Allemagne à la fin de la première guerre mondiale, une petite fille de 11 ans pousse son père à lancer une bombe à eau sur la voisine autoritaire et moralisatrice, écrit à l'empereur qu'il ferait mieux d'abdiquer parce qu'il n'a visiblement rien compris à son peuple, évite à un soldat de retourner au front en lui faisant attraper la scarlatine... et s'offusque qu'en plus d'être bornés et ennuyeux, les petits bourgeois réactionnaires qui l'entourent cherchent encore à la punir. Avec une absence totale de sens de la nuance et une confiance en soi qui n'a été altérée par aucun compromis, cette jeune narratrice offre à Irmgard Keun l'occasion de saper efficacement les bases idéologiques de l'Allemagne nazie dont elle s'est exilée, et de présenter l'humanisme et le pacifisme comme des convictions évidentes, relevant du simple bon sens.


Rayons : Littérature > Romans & Nouvelles


  • Auteur(s)

    Irmgard Keun

  • Traducteur

    MICHEL-FRANCOIS DEMET

  • Éditeur

    Agone

  • Distributeur

    Belles Lettres

  • Date de parution

    09/03/2017

  • Collection

    Infideles

  • EAN

    9782748903256

  • Disponibilité

    Disponible

  • Nombre de pages

    217 Pages

  • Longueur

    17 cm

  • Largeur

    11 cm

  • Épaisseur

    1.9 cm

  • Poids

    190 g

  • Support principal

    Grand format

Infos supplémentaires : Broché  

Irmgard Keun

Irmgard Keun est née à Berlin en 1905, bien qu'elle ait raconté toute sa vie être née en 1910. Après s'être essayée au cinéma, elle commence à écrire en 1929 et connaît un succès fulgurant avec ses deux premiers romans, Gilgi et La Jeune Fille en soie artificielle. Mais le portrait qu'elle y fait de la jeune Allemande moderne déplaît aux autorités nazies, qui mettent ses livres sur liste noire. Après avoir intenté un procès perdu d'avance à la Gestapo, Irmgard Keun choisit l'exil. Entre 1936 et 1938, elle écrit plusieurs romans, dont Après minuit, et voyage en Europe en compagnie de son amant, l'écrivain Joseph Roth, et côtoie d'autres exilés célèbres, comme Stefan Zweig. À la suite de la défaite française de 1940, elle fait publier l'annonce de son suicide et rentre clandestinement en Allemagne, où elle se cache pendant toute la guerre sous une fausse identité. Oubliée après 1945, son ?uvre est redécouverte en Allemagne et dans le monde entier par la jeune génération féministe des années 1970. Irmgard Keun meurt en 1982 à l'âge de soixante-dix-sept ans – ou plutôt, comme elle l'aurait maintenu, à soixante-douze ans.

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