Hans Castorp rend visite à son cousin dans un luxueux sanatorium de Davos, en Suisse. Piégé par la magie de ce lieu éminemment romanesque, captivé par des discussions de haut vol, il ne parvient pas à repartir. Le jeune Allemand découvre son attirance pour un personnage androgyne et, au mépris du danger, se laisse peu à peu envoûter par cette vie de souffrances, mais aussi d'aventures extrêmes en montagne et de dévergondage, où fermentent des sentiments d'amour et de mort.
Écrite entre 1912 et 1924, La Montagne magique est l'un des romans majeurs du vingtième siècle. Cette oeuvre magistrale radiographie une société décadente et ses malades, en explorant les mystères de leur psychisme. Évocation ironique d'une vie lascive en altitude, somme philosophique du magicien des mots, ce vertigineux « roman du temps » retrouve tout son éclat dans une nouvelle traduction qui en restitue l'humour et la force expressive.
Roumanie années Ceausescu : la dictature pèse sur le pays comme une chape de plomb. Le pouvoir surveille les moindres gestes, contrôle toute activité culturelle ou toute forme d'expression artistique, jusqu'à rendre fous aussi bien les surveillés que les surveillants. La narratrice, ouvrière dans une usine qui travaille pour l'Italie, a été convoquée par la Securitate. Depuis son passage à l'usine de confection où elle a glissé un SOS dans la doublure d'un vêtement de luxe qu'elle cousait pour une maison italienne, ils ne la lâchent plus. Chaque semaine, chaque jour, leur rendre des comptes, élaborer des scénarios pour répondre à leurs questions, se justifier, s'entraîner à supporter la douleur, ne pas perdre la tête. Dans le tramway, elle lutte contre l'angoisse qui la submerge et le sentiment d'humiliation mentale que son tortionnaire va s'ingénier à provoquer. Pendant le trajet, elle voit en flash-back les principaux épisodes de sa vie. Elle doit résister. Elle regarde aussi les passagers autour d'elle et décide de ne pas se rendre à la convocation. L'écriture serrée d'Herta Müller et la force de son langage font de son roman un témoignage et un poème nerveux et inquiétant. Une forme esthétique de la résistance, celle de la dernière génération d'écrivains roumains de langue allemande, confrontés à l'isolement de la dictature et à l'abîme de l'exil.
Le pied d'Adina glisse sur la peau de renard qui orne le sol de son salon et en détache la queue. Remarquant la trace d'une lame de rasoir, elle réalise que son appartement a été fouillé et que la police politique roumaine la surveille. Avec chaque nouvelle visite, c'est une autre partie de la fourrure qui est tranchée. À mesure que le démembrement s'opère, l'atmosphère devient plus oppressante, les voisins se transforment en voyeurs, les amis disparaissent ou se trahissent et l'ombre de la répression s'intensifie.
Comment supporter le temps qui passe quand on est forcé à l'inactivité ? Que faire quand on ne peut plus exercer le métier qui a donné un sens à notre vie pendant des décennies ? Existons-nous encore quand personne ne nous voit ? Autant de questions que se pose Richard, professeur de lettres classiques fraîchement retraité et totalement désoeuvré.
Un jour, en passant sur l'Oranienplatz, à Berlin, il croise par hasard le chemin de demandeurs d'asile. Et s'il trouvait les réponses à ses interrogations là où personne ne songe à aller les chercher ? Auprès de jeunes réfugiés venus d'Afrique qui ont échoué à Berlin et qui, depuis des années, sont condamnés à attendre qu'on les reconnaisse - qu'on les voie tout simplement...
Mettant face à face deux réalités en apparence totalement opposées, Jenny Erpenbeck nous montre qu'à des périodes différentes, dans des pays différents, la fuite, la peur, la guerre ainsi que le sentiment d'être apatride peuvent définir le parcours de tout un chacun, quelle que soit son origine.
Nous sommes en Roumanie, en janvier 1945 : la population germanophone de Transylvanie vit dans la peur de la déportation. Cette mesure, exigée par le nouvel allié soviétique de Bucarest, vise une population soupçonnée d'avoir soutenu l'Allemagne nazie pendant la guerre. Le jeune Léopold sait qu'il est sur la liste. Il prépare sa petite valise, des affaires chaudes, quelques livres, puis, quand la police roumaine vient le chercher à trois heures du matin, par - 15° C, il reçoit les mots de sa grand-mère «Je sais que tu reviendras» comme un viatique. L'usine de charbon, la tuilerie, la cimenterie, des baraquements élémentaires, une ration de pain et deux rations de soupe par jour, les diarrhées et les poux : tel sera le quotidien de Léopold pendant cinq ans. La Bascule du souffle nous invite à lire la chronique terrifiante de ces années de froid, de faim et de découragement qui tuent dans un camp de travail en Russie. Mais la singularité du livre de Herta Müller réside dans sa faculté incomparable de transcender le réel, de l'illuminer de l'intérieur. Sous sa plume, le camp devient un conte cruel, une fable sur la condition humaine. Ici les arbres parlent, le ciment boit, la pendule a mal à son ressort cassé, la faim voyage dans le corps d'un ange, et le coeur, dans une pelle. Herta Müller souhaitait écrire ce livre à quatre mains avec le poète germano-roumain Oskar Pastior - le modèle de Léopold - mais ce projet fut interrompu par sa mort. La prose de Herta Müller, poétique et maîtrisée, sèche et puissante, toujours surprenante, lui rend hommage de la plus belle manière qui soit. Certes, La bascule du souffle aborde un tabou historique, mais s'impose surtout comme une oeuvre de portée universelle. Un événement bouleversant.
Samuel naît dans un petit village en Roumanie, non loin de Timisoara et de la frontière hongroise. Sa mère, Florentine, est une femme rêveuse, descendante d'une famille noble. Hannes, son père, est pasteur, en charge des paroissiens de langue allemande qui vivent dans cette région d'Europe centrale depuis des siècles. Samuel est un garçon taciturne et timide, mais la famille est heureuse - autant que possible dans cette Roumanie encore sous la férule de Ceausescu. Le couple se lie d'amitié avec les Novacs, qui font partie de la minorité slovaque, et leur fille Stana va devenir la compagne de jeux de Samuel. Quand Hannes est convoqué par la Securitate, il se demande néanmoins si ce n'est pas son ami Konstanty Novacs qui l'a dénoncé, pour avoir hébergé deux jeunes Allemands, Beni et Lothar.
A l'adolescence, Samuel et Stana tombent amoureux l'un de l'autre, mais peu après, le meilleur ami de Samuel, Oz, se met en délicatesse avec le pouvoir communiste, au point de devoir quitter le pays s'il ne veut pas risquer de mourir dans les geôles du régime. Samuel n'hésite alors pas une seconde : à l'aide d'un petit avion ULM qu'il a appris à piloter, il aide Oz à passer à l'Ouest. Il ne prévient pas ses parents de sa décision, mais laisse un mot à Stana, lui demandant de ne pas l'attendre. En Allemagne, il va essayer de reconstruire une vie loin des siens. Sa route va croiser celle de Beni, cet Allemand que son père avait accueilli chez eux des années auparavant, et quand l'effondrement des régimes communistes s'annonce, les deux prennent la route en direction de la Roumanie...
En sept chapitres, Iris Wolff retrace le fabuleux destin d'une famille européenne. Sa langue, poétique et aérienne, sert à merveille cette histoire d'amour au carrefour de la grande Histoire, entre oppression et liberté, l'Est et l'Ouest.
Lola a quitté sa province pour échapper à la misère et faire ses études à Timisoara. Un jour, on la retrouve pendue dans son placard. A cette mort misérable s'ajoute son exclusion infamante, à titre posthume, du Parti communiste. La narratrice, ancienne camarade de chambre de Lola, ne croit pas à la thèse du suicide, pas plus qu'Edgar, Kurt et Georg. Mais l'amitié qui se noue entre elle et les trois garçons, puis avec Tereza, est menacée par cette société qui broie les individus.
Animal du coeur dépeint le régime de terreur de Ceausescu et ses conséquences sur de très jeunes vies. L'auteur y interroge, dans une langue d'une richesse poétique inouïe, la capacité de l'homme à sauver son humanité profonde.
« Ma patrie, c'est le langage » : c'est sous le patronage de cette formule de Jorge Semprún, citée et analysée par Herta Mu¨ller dans le premier des textes de ce volume, que l'on peut placer les onze textes ici réunis.
Extraits de trois recueils publiés entre 1995 et 2011, et choisis pour la résonance qu'ils créent entre eux, ces essais relèvent à la fois de l'étude linguistique - notamment entre le roumain et l'allemand -, de la réflexion poétique - au moyen de mots qui condensent les signifiants et peuvent les déployer quand on s'y attend le moins - et du témoignage historique d'une exilée politique.
Les lecteurs de Herta Mu¨ller y découvriront un ton parfois très personnel, où le récit de la Roumanie des années Ceausescu s'appuie sur certains événements privés bouleversants ; mais ce recueil peut également se lire comme une formidable entrée dans l'oeuvre du Prix Nobel de Littérature, tant il présente en un seul livre le terrible tableau d'une société explorée par la romancière notamment dans Animal du coeur, le rapport au langage singulier de la poétesse découpant des mots dans le journal, et la pensée analytique fulgurante de la théoricienne.
Une jeune fille est retrouvée noyée dans un lac autrichien, ficelée dans une bâche. Du travail en perspective pour les gendarmes... L'un d'eux fréquentait la victime. Mais il a aussi la particularité de séduire les femmes mûres et solitaires dans l'espoir de se voir léguer leurs biens. Avec une virtuosité verbale incomparable, Elfriede Jelinek bat en brèche le conformisme bien-pensant de son " pays de cannibales ".
«Ma trajectoire est bizarre, de la petite gardienne de vaches dans sa vallée jusqu'à l'hôtel de ville de Stockholm. Comme bien souvent, je me sens à côté de moi-même.» Cest par ces mots, illustrant son origine et l'itinéraire d'une vie consacrée à la littérature, que Herta Müller a commencé son discours de réception du prix Nobel de Littérature en 2009. Un parcours qu'elle retrace dans ce long entretien en évoquant pour la première fois ce qui inspire son écriture : ses expériences, le langage, et la violence d'un quotidien sombre et oppressant sous la dictature roumaine.
À travers des images inoubliables, Herta Müller mesure de façon inédite l'impact sur l'individu d'un système coercitif emblématique du siècle dernier.
Helen a 18 ans. A l'issue d'un rasage intime malencontreux, la jeune femme se retrouve à l'hôpital. Livrée à elle-même, elle s'invente toutes sortes de jeux avec son corps. Enfant du divorce, héroïne d'une société désorientée, Hélène est transgressive à souhait. L'auteure déclare : « Je savais que je voulais écrire quelque chose sur les thèmes suivants : « femmes, hygiène, odeurs », sur toute cette hystérie hygiéniste qui nous entoure et qui m'agace depuis des années. » Un livre qui fera date !
Rien de polaire ni même de géographique dans cette «expédition» au nom parfaitement arbitraire entreprise en imagination par une jeune femme enceinte et son arrière-grand-mère, également soucieuses de donner à l'enfant qui va naître une généalogie qui ait un sens.Remontant le temps, bousculant les époques, les deux complices reconstituent ou inventent l'histoire de leur lignée féminine. La chronique simultanée d'une société menaçant ruine et d'une grossesse nous apprend qu'on peut être la soeur de sa propre fille, le fils de trois pères et d'une sexagénaire, mais aussi procréer des enfants dont on est tantôt le père, tantôt la mère.Sorcières, cuisinières, fausses ingénues et amantes délurées se moquent là du temps, des hommes et des téléviseurs, conviant lecteurs et lectrices à un festin de tous les sens dont le féminisme jubilatoire est ravageur. Cette expédition fantastique, réglée sur le calendrier précis des existences féminines, met au jour les refoulements de la psychologie individuelle tout en dénonçant les déficits de notre mémoire collective.Foisonnante, originale et tendre, la fable trouve un langage nouveau pour traiter avec impertinence de la procréation et de son corollaire peut-être mineur qu'est la création.
Être l'ennemi public numéro un dans son propre pays n'est pas chose facile. Même dans l'un des plus petits État au monde : la principauté de Liechtenstein. Johann Kaiser, placé en orphelinat à six ans, globe-trotter, maître de la manipulation, réside dans un lieu inconnu sous un faux nom. Il a gagné tellement d'argent qu'il pourrait ne se préoccuper de rien. Mais pour se défendre contre ceux qui souhaitent sa mort, il doit raconter l'histoire de sa vie.
S'inspirant librement de Heinrich Kieber, personnage bien réel qui vendit aux services secrets allemands les données fiscales des clients d'une banque du Liechtenstein, Benjamin Quaderer met en scène un homme hors du commun à l'humour cinglant, et signe un premier roman aussi vif qu'intelligent sur le pouvoir de l'argent et de la narration.