Partout dans le monde, la démocratie se voit attaquée par un populisme nationaliste. Et partout dans le monde, la même énigme : comment des gouvernements qui n'ont aucun scrupule à aggraver les inégalités sociales peuvent-ils jouir du soutien de ceux que leur politique affecte le plus ?
Pour comprendre ce phénomène, la sociologue franco-israélienne Eva Illouz affirme qu'il faut s'intéresser aux émotions. Car elles seules ont le pouvoir de nier l'évidence factuelle et d'occulter l'intérêt personnel.
Elle en a ainsi isolé quatre, qui soutiennent les grands récits populiste : la peur, le dégoût, le ressentiment et l'amour de la patrie. Quatre émotions que les mouvements populistes s'emploient partout à attiser afin de mieux les instrumentaliser. Une stratégie dont elle montre très précisément les rouages dans l'Israël de Netanyahou, terrain d'étude de cet essai de sociologie totale, profondément éclairant et original.
Incendies en Amazonie, en Sibérie, en Californie, en Grèce, au Portugal... Les feux de forêt, ce phénomène que l'on connaît depuis toujours, prennent désormais une ampleur telle qu'ils en viennent à changer de nature : nous avons désormais affaire, un peu partout dans le monde, à des « mégafeux ». À l'échelle de l'espèce humaine, ils sont cataclysmiques. Leur violence est telle qu'il est légitime de redouter que, parmi tous les scénarios des catastrophes naturelles liées au changement climatique que nous avons imaginés, celui de la destruction par les flammes s'avère le plus imminent.
Or, qu'ils soient intentionnels, accidentels ou liés au réchauffement climatique, l'homme en porte la responsabilité.
Ce phénomène nouveau est symptomatique, telle est la thèse de Joëlle Zask, de l'ambiguïté fondamentale de notre rapport à la nature à l'heure de la crise écologique. Une nature à la fois idéalisée, bonne en soi, à laquelle il ne faudrait pas toucher pour la laisser la plus vierge et pure possible ; et, de l'autre côté, une volonté de domination bien connue, menant à la destruction.
Voilà qui ne laisse pas de place à l'idée d' « entretien », à une relation régulée, pragmatique, de l'ordre du partenariat.
En cela, le phénomène des grands feux, phénomène extrêmement inquiétant, éclaire mieux que toute autre catastrophe écologique l'impasse dans laquelle nous semblons nous trouver ; seule catastrophe née de la main de l'homme, arme de pure destruction accessible à tout un chacun, il met par ailleurs au jour la jouissance de la destruction qui semble gagner chaque jour du terrain.
« Dans les salles des ventes, les habitués du premier rang font monter les enchères par des signaux discrets. Seul le commissaire-priseur repère le léger froncement des sourcils, le clignement des paupières. C'est peut-être ainsi que nous devrons nous adresser aux machines. Chacun disposera de son langage facial qui servira à la fois d'ordre et de signature. L'un fera démarrer son véhicule par une moue dubitative, l'autre allumera son téléphone par un sourire en coin. Il est en effet souhaitable que nous gardions un léger signal extérieur à produire et que nos pensées ne soient pas intégralementlisibles. » Après Mélancolie du pot de yaourt, Philippe Garnier entreprend d'ausculter ce grand monde des machines qui nous a déjà absorbés. D'une plume tranchante et sans rien sacrifier à son goût de l'absurde, depuis la douceur inflexible des manivelles jusqu'à l'ennui des gardiens de data centers, il propose autant de rêveries tendres et implacables sur les rouages et les algorithmes qui nous gouvernent.
______________________________________________ « «Les machines façonnent nos gestes et modifient notre vie corporelle», écrit Philippe Garnier. Son essai est riche car il est sobre. L'auteur dit les choses comme il les vit. Les petites intrusions chez Platon ou Simondon ne sont là que pour appuyer le propos par quelques réflexions savantes, mais l'essentiel demeure le vécu. » Laurent Lemire, Livres Hebdo « D'une plume tranchante et sans rien sacrifier à son goût de l'absurde, l'auteur propose une rêverie tendre mais intransigeante sur les contrariétés numériques et machinales de notre époque. » Trois Couleurs « Traversant avec humour le temps dans les deux sens, ces réflexions livrent notre univers mécanisé à notre étonnement philosophique. » Philosophie Magazine
Lorsqu'en 1755 Lisbonne est détruite par un tremblement de terre, l'événement provoque une onde de choc parmi les philosophes européens. Ce que l'on qualifierait aujourd'hui de catastrophe naturelle est considéré comme l'incarnation du mal. Deux siècles plus tard, la découverte des camps de la mort nazis suscite une abondante littérature de témoignage mais la philosophie reste muette. De « mal naturel », le mal est devenu « mal moral » ; une bascule a eu lieu. Penser le mal fait le récit de cette bascule.
Pour Susan Neiman, la philosophie n'est pas affaire de spécialistes ; elle doit poser des questions universelleemnt partagées. Un monde dans lequel des innocents souffrent peut-il avoir un sens ? La foi en dieu ou dans le progrès humain peut-elle résister à une énumération des atrocités terrestres ? Si la question du mal est éminemment philosophique, c'est qu'elle n'est pas seulement morale : elle interroge l'intelligibilité du monde. En retraçant la manière dont les philosophes modernes - depuis Bayle et Voltaire jusqu'à Arendt et Rawls, en passant par Hegel et Nietzsche -, ont répondu à ces questions, Neiman retourne aux racines du questionnement philosophique. Elle nous invite ainsi à une relecture audacieuse de l'histoire de la philosophie moderne occidentale à travers le prisme du mal - « la racine par laquelle la philosophie moderne a poussé ». Un livre extrêmement original et ambitieux, déjà considéré comme un classique.
Comment faire avec le temps qui passe quand tout nous rappelle à notre image ? Nicole Kidman, Bette Davis, Isabelle Huppert, Mae West, Meryl Streep, Brigitte Bardot... Huit portraits d'actrices, comme autant de manières de composer avec cette « seconde femme » dont parle Gena Rowlands, qui entre en scène « lorsque la jeunesse meurt ».
Car en face de la puissance pétrifiante du regard masculin, il y a l'inépuisable ingéniosité des femmes, qui s'organisent en espionnes des apparences. Les actrices racontent l'histoire de cette ingéniosité : ce qu'il est possible de faire à l'intérieur d'un espace restreint, codifié. S'y tenir bien sagement ou faire seulement semblant, en pousser les murs, les dynamiter, ou finir par le déserter. Comme sur un ring, elles transforment les films en espaces symboliques où se raconte, se commente et se spectacularise la condition du féminin. Où l'on peut raturer, dévier et réécrire « le scénario femme ».
Elles sont, en somme, la métaphore étincelante de notre condition toutes.
Au dix-septième siècle, Pierre Borel, un médecin ordinaire, assure détenir la preuve irréfutable de la sexualité des pierres. Ce débat, virulent, oppose deux camps : ceux qui croient la Terre inerte et ceux qui la pensent comme un organisme vivant. Quelle résonance aujourd'hui, à l'épreuve de toutes les avancées scientifiques ? La pierre et la chair seraient-elles plus proches qu'on ne le croit ?
Dans cette nouvelle causerie, David Wahl, écrivain et dramaturge, brouille une fois de plus les pistes entre le mythe et la science pour nous livrer le récit fascinant des origines géologiques de l'humanité.
En un temps très court de leur histoire, les humains ont transformé la planète -la chose est entendue. Cela au prix d'un dérèglement climatique et de quelques autres paramètres du « système Terre » qui conditionnent l'habitabilité à moyen terme de notre monde sublunaire, si exceptionnellement - miraculeusement même - propice à la vie. Cette situation critique qu'on nomme Anthropocène (entre quelque deux cents dénominations concurrentes) a désormais généré le plus grand nombre de travaux et publications des sciences humaines et sociales depuis leur naissance. Il s'agit ici de rappeler que la notion d'Anthropocène désigne, de façon surprenante, l'essence géologique de l'être humain. Des civilisations nous savions qu'elles étaient mortelles, ce dont des ruines et autres héritages attestent pour l'archéologie. Mais qu'elles ont une compétence à devenir fossiles, c'est ce que ce petit essai essaye de décrire.
Sursollicitée par les rythmes frénétiques du quotidien et la quantité d'informations dont nous bombardent les médias numériques, notre attention est abîmée. Pourtant, la crise environnementale implique de retrouver une sensibilité au monde, aux êtres et aux choses qui le composent -à cultiver l'art d'observer. Si cette invitation est aussi nécessaire que louable, elle est sans aucun doute abstraite, comme si les manières de construire nos attention perceptive étaient naturellement acquises. Or il n'en est rien : observer, c'est choisir les questions qu'on pose au monde qui nous entoure.
Comment faire concrètement ? Par où démarrer ? Avec quoi se lancer ? Ce livre répond à ces questions au moyen d'une quarantaine d'exercices d'observation, présentés sous la forme de consignes à mettre en pratique pour assimiler et entretenir cette aptitude. Ce faisant, il entend montrer au lecteur comment redécouvrir le monde en s'inspirant des façons de faire des anthropologues, des designers ou des artistes.
La démocratie et l'écologie seraient-elles incompatibles ? On entend souvent qu'il y aurait dans l'écologie quelque chose d'élitiste, de contraire aux désirs majoritaires. Ou alors qu'il faudrait, pour prendre le tournant écologique à temps, avoir recours à des méthodes autoritaires, user de la manière forte. Cet essai entreprend au contraire de démontrer que non seulement il n'y a pas de contradiction entre l'écologie et la démocratie, mais que l'une ne va pas sans l'autre.
Avant de critiquer ou d'acclamer son gouvernement, le citoyen au sens fort participe activement à la création de ses propres conditions d'existence. Il transforme le monde en le préservant. Il jardine, construit, aménage, s'associe à d'autres, inventant avec la nature comme avec autrui des formes de vie communes. Aux côtés du système représentatif, il y a ou il devrait y avoir un système participatif qui permette à chacun d'entre nous d'« ugmenter le monde.
Voilà donc l'urgence qui anime ce propos : pour que notre monde ne devienne pas un monde de désolation, nous devons introduire dans l'idée de citoyenneté la production, l'entretien, la préservation et la transmission d'espaces concrets partageables - en somme, la juste occupation de la terre.
Le 26 avril 1986, le réacteur numéro 4 de la centrale de Tchernobyl explosait. Galia Ackerman fréquente ceux qui sont la mémoire de Tchernobyl depuis plus de vingt ans. Avec Traverser Tchernobyl, elle nous emmène dans des lieux inattendus : la plage ensoleillée du bord de la rivière Pripiat, les forêts habitées par une faune sauvage, le cimetière juif abandonné , les alentours du plus grand radar de détection de missiles intercontinentaux de toute l'URSS, les décharges nucléaires. Elle raconte le vieil homme heureux de sa pêche radioactive, les orphelins irradiés, les vrais et les faux héros de Tchernobyl. Un tableau intime du désastre, mais aussi, en creux, de l'ex-URSS et de ce qu'elle est devenue. Un voyage sur une terre fantomatique, dans le monde d'après.
Mort à 34 ans, Frank Vandenbroucke - « l'enfant terrible du cyclisme belge » - a captivé Olivier Haralambon, lui-même ancien coureur. Né dans une famille de cyclistes, Frank Vandenbroucke est un gamin du Hainaut dont la vie a été façonnée pour et par le vélo. Au seuil de l'an 2000, après un parcours turbulent, il est troisième coureur mondial. Mais il ne résiste pas au dopage qui ne cesse de s'étendre dans le cyclisme professionnel. Dès lors sa carrière est émaillée de poursuites judiciaires et d'exclusions. « VDB » tente plusieurs retours, s'épuise en compétitions souvent sanctionnées d'abandons ou d'échecs. Suicides manqués, drogue, déboires amoureux : tout se conjugue contre lui malgré son brio et l'admiration que lui portent ses pairs. Il meurt brusquement à 34 ans, physiquement brisé.
Ce récit d'une grande force décrit de l'intérieur les années où le cyclisme est passé de la légende au business. Un exercice d'admiration, un retour au coeur du peloton, mais aussi un travail littéraire sur le double et l'expérience des limites.
Notre société est obsédée par la prime jeunesse. La chose semble partout admise : devenir adulte, c'est se résigner à une vie moins aventureuse et beaucoup plus insignifiante que ce à quoi l'on pensait pouvoir prétendre.
Mais si l'on ne parle jamais de l'âge adulte en termes élogieux, ce n'est peut-être pas pour rien. Car en décrivant la vie comme un long déclin, nous laissons entendre aux plus jeunes qu'ils ne doivent pas en attendre grand-chose - et nous leur apprenons ainsi à ne rien réclamer. L'idéologie de la jeunesse éternelle n'est pas neutre d'un point de vue politique : l'enfant est d'abord assujetti à la volonté d'autrui.
Dans cet essai incisif, Susan Neiman, philosophe américaine internationalement reconnue et pour la première fois traduite en français, interroge cette culture, la nôtre, qui promeut une adolescence permanente. Et se tourne vers des penseurs tels que Kant, Rousseau et Arendt pour trouver un modèle de maturité qui ne soit pas simple affaire de résignation. Car la véritable maturité implique de trouver le courage de vivre dans un monde incertain sans rien céder au dogme du désespoir. Un adulte, affirme Neiman, transforme le monde de sorte qu'il ressemble davantage à ce qu'il devrait être, sans jamais perdre de vue ce qu'il est vraiment. Et si le fait de prendre de l'âge, loin de rimer avec ennui et renoncement, était en fait un idéal pour notre temps - peut-être même l'idéal le plus subversif que l'on puisse trouver dans une société qui nous encourage à ne pas faire l'effort de penser par nous-mêmes ?
Vous avez une « mauvaise mémoire » ? C'est ce que vous croyez. En vérité, vous ignorez simplement comment la solliciter. Que diriez-vous de la retrouver ? De citer les sommets du monde comme si vous y aviez planté votre drapeau ? De vous souvenir du prénom de tous ceux que vous croisez ? D'apprendre en un mois les mille mots principaux d'une langue étrangère ? De ne plus systématiquement recourir à Internet ? Bref, de retenir ce que vous voulez, quand vous le voulez ? Rien n'est plus facile et amusant.
Ce livre va vous montrer comment quitter le territoire fastidieux de la répétition pour celui, fabuleux, des arts de mémoire, où l'imagination règne en maître et où tout, absolument tout, est possible. Un parcours initiatique qui vous aidera à développer une aptitude plus que jamais précieuse : l'attention.
On connaît les places léguées par Jules César, Louis XIV, Napoléon III, Hitler, Staline ou Mao Zedong. Royales, impériales, nationalistes ou fascistes, elles jalonnent encore aujourd'hui nos villes et nos villages. Mais pourquoi les démocrates n'ont-ils pas, eux aussi, réfléchi au rôle politique des places ? D'où vient cette lacune ? Quelle est la nature de l'inconscient politique qui nous les rend invisibles ? Et comment y remédier, à l'heure où la démocratie a plus que jamais besoin d'être revitalisée ? Joëlle Zask enquête sur les conditions matérielles qui rendent l'exercice de la démocratie possible. Car « en démocratie, plus on se réunit, plus grandes sont nos libertés, plus les institutions qui nous protègent sont fortes ».
Depuis la fin des années 1990, une science du bonheur a fait son apparition : la psychologie positive. Elle s'attache à conférer une légitimité scientifique à une idée fort simple : le bonheur se construirait, s'enseignerait et s'apprendrait. Il suffirait donc de vouloir, et d'écouter les experts, pour devenir heureux. L'industrie du bonheur affirme ainsi pouvoir façonner les individus en créatures capables de faire obstruction aux sentiments négatifs, de tirer le meilleur parti d'elles-mêmes en contrôlant totalement leurs désirs improductifs et leurs pensées défaitistes.
Mais n'aurions-nous pas affaire ici à une autre ruse destinée à nous convaincre, encore une fois, que la richesse et la pauvreté, le succès et l'échec, la santé et la maladie sont de notre seule responsabilité ; que les maux des individus importent infiniment plus que les problèmes sociaux ? Et si la dite science du bonheur visait à nous convertir à un modèle individualiste niant toute idée de société ?
Se faisant autant archéologues d'un pseudo-savoir que sociologues, Edgar Cabanas et Eva Illouz reconstituent ici avec brio les origines de cette nouvelle « science » et explorent les implications d'un phénomène parmi les plus captivants et inquiétants de ce début de siècle.
Un livre urgent, accessible et provocateur.
Que faire si votre route croise celle d'un moustique, d'un chien errant, d'un ours, d'abeilles énervées, d'un macaque affamé ? Savez-vous que les corneilles ont une mémoire incroyable et comptent parmi les animaux les plus rancuniers ? Que les ours sont myopes mais ont un odorat incroyablement développé ?
Face à une bête sauvage, nous réalisons l'étendue de notre ignorance. Nous faisons la brutale expérience de notre propre appartenance au monde animal, et de la faiblesse de notre espèce, qui n'inspire spontanément ni terreur ni crainte. Avec ce guide à la fois informé et étonnant, Joëlle Zask ne nous propose pas seulement de nous prémunir contre une morsure ou un coup de griffe. Elle nous invite à faire connaissance avec les autres animaux de la nature, et à remettre en question la place que nous accordons aux humains parmi eux.
«Le cyclisme, c'est Poulidor, Richard Virenque et Lance Armstrong, ça sent le camphre et la chicorée, les fautes de syntaxe et l'EPO. Le cyclisme, c'est le Tour de France, devant lequel vous ne cessez de vous ennuyer qu'en vous endormant.
À rebours de cette idée, j'aimerais ici embrasser la liste des enchantements par lesquels je suis passé, à ne fréquenter que des cyclistes pendant des années, à ne vivre que comme eux, au point d'en être devenu un, ad vitam. J'ai dû me rendre à l'évidence : les livres ne rendent pas plus malins, la course cycliste oui. La course cycliste a la vertu de vous détromper. Vous pensez sans doute que rien n'est plus simple, plus mécanique que pédaler, et qu'une course de vélo c'est Les Temps Modernes version aseptisée, clinique, sans Chaplin et sans la poésie. Vous ne soupçonnez pas qu'être fort et rouler vite sont deux choses absolument différentes. Que la pédale se recouvre, se caresse, bien plus qu'on n'y appuie. Vous les croyez des brutes, ils sont délicats comme des danseuses, subtils plus que bien des écrivains, faute de quoi ils n'avanceraient pas.»
C'est recyclable ? Oui, le logo en atteste. On trie, on jette, avec l'assurance que la chose déchue aura une deuxième vie. Longtemps avant que l'économie circulaire ne fasse disparaître le déchet, Roland Barthes qualifiait les matières plastiques de « miraculeuses » par leur capacité à (re)prendre forme à l'infini. À l'heure de l'Anthropocène, le mythe s'est déplacé, mais fonctionne toujours : désormais nous marchons dans des baskets en plastique recyclé « issu des océans ». Cette pensée abstraite appelle un retour sur terre, et plus précisément dans le nord du Vietnam, dans un village appelé Minh Khai. Chaque jour y arrivent par conteneurs des déchets plastiques venus du monde entier. Au début des années 1990, d'anciens paysans ont commencé à recycler, dans la cour de leur maison, ces matières exportées par les pays développés. Peu à peu, ce village est devenu un « village plastique », dont la prospérité est symbolisée par des maisons bourgeoises poussant sur des tas d'ordures. C'est cette histoire que ce petit livre raconte et sur laquelle l'auteure prend appui pour raconter la mondialisation des déchets et notre rapport à leur matérialité.
Depuis de nombreuses années, Jos Houben arpente les scènes du monde entier avec L'Art du rire, un spectacle fondé sur le geste, qui explore ce moment fragile où, qu'on le veuille ou non, le rire se déclenche. Christophe Schaeffer, chercheur en philosophie, a délaissé l'université pour la mise en scène et la création lumières. Les deux hommes sont complices de planches de vingt ans.
Ensemble, suivis par un mystérieux chien et tenant fermement la main du lecteur, ils se lancent ici, trébuchant et facétieux, à la poursuite du rire. Quelle est cette liberté dont il se nourrit ? Comment un simple geste suffit-il à faire déraper l'esprit ?
Dans la lignée des grands textes sur le théâtre et des dialogues philosophiques, Le Chien de Bergson s'amuse à jouer avec nos certitudes et nous embarque dans un voyage improbable où les réflexions les plus sérieuses glissent toujours vers l'absurde et la poésie.
On peut connaître la métaphysique selon Kant, savoir résoudre une équation du troisième degré et connaître par coeur les cinquante premières décimales du nombre Pi sans pour autant connaitre la hauteur d'une assise ou d'une table, la largeur d'une porte, la dimension d'une place de parking, le poids d'une vache ou d'un m3 de bois.
Toutes choses apparemment anodines, que l'on côtoie pourtant quotidiennement et auxquelles on accepte de ne rien comprendre. Le monde matériel ne nous intéresse pas. Nous avons choisi de le confier aux spécialistes.
Ce livre propose au contraire de considérer le bricolage comme un acte de résistance politique.
Il vise à enseigner au lecteur des choses simples et indispensables, dans l'espoir de lui ouvrir les yeux sur ces objets qu'il méprise, auxquels il s'adapte et dans lesquels il se cogne parfois, afin de l'inciter à s'y intéresser pour ne pas le laisser aux seules mains de l'industrie et de la société de consommation.
Grille-pain, machine à coudre ou à laver... Chaque foyer occidental posséderait une centaine d'objets techniques. Ces objets qu'on utilise sans savoir comment ils fonctionnent, ce livre propose de les ouvrir. De retirer leur carrosserie. De regarder de quoi ils sont faits. Chacun porte sa part d'insolence et de design, d'improvisation et de standardisation, de conformisme et de détournement...
Ils incarnent une histoire de l'ordinaire, nichée au coeur du quotidien.
Au grand récit des innovations, trop souvent ethnocentrique et progressiste, nous préférons les mains qui apprennent. À l'histoire héroïque du chemin de fer ou de l'atome, nous proposons de substituer la description de familles agglutinées autour du poste de télévision ou le désir plus récent de « faire soi-même ». Toute une série de pactes curieux entre kes hommes et les objets se dévoilent alors. L'électricité sert d'abord à allumer les bougies. Les premiers ascenseurs ont l'allure de chaises à porteur. En Afrique centrale, porter une montre cassée était une façon de refuser le temps du colon.
Ce petit livre propose au lecteur d'ouvrir les yeux sur le monde matériel qui l'entoure. De réapprendre, en un sens, à se demander pourquoi les choses sont telles qu'elles sont.
Chaque 8 mai, la Russie célèbre la « Grande Victoire » de la Seconde Guerre mondiale. Des défilés sont organisés partout en Russie mais aussi à travers le monde. Ces défilés sont ceux du « Régiment immortel ».
Pourquoi cet engouement soudain, quand la guerre est terminée depuis plus de 70 ans ? En perdant l'URSS, les Russes sont devenus une puissance régionale pauvre et mal aimée de ses voisins. Le génie de Poutine a été de redonner aux Russes la fierté de leur passé soviétique en occultant progressivement ses côtés sombres. Or la victoire sur le nazisme n'est-elle pas le moment le plus glorieux de l'époque soviétique ?
Par un tour de passe-passe, le peuple russe, qui a « gagné la guerre contre le mal absolu », devient porteur du bien absolu. Et Staline, une figure populaire, désormais préférée à Poutine et à Pouchkine.
La conscience nationale ainsi sacralisée, il n'est pas difficile à au gouvernement, qui s'appuie sur une armada de journalistes et de « technologues politiques », de convaincre le « petit peuple » que tous ses agissements sur la scène internationale et à l'intérieur du pays (aggressions contre l'Ukraine et la Géorgie, extinction de la liberté de la parole et de réunion, assassinats politiques), est légitime : le Régiment immortel ne doit-il pas rester prêt à défendre la Patrie et à écraser ses ennemis ?
De la détente proposée par le Club Med aux cartes sexuelles distribuées dans les rues de Tel Aviv, des techniques de psychologie positive aux films d'horreur, la consommation et les émotions s'intriquent désormais au point de se définir mutuellement. C'est là un trait fondamental, et pourtant jusqu'alors jamais étudié, de notre modernité. Une modernité qui fait de l'individu un être à la fois fondamentalement rationnel et soumis à une intensification sans précédent de ses émotions. Ce paradoxe est rendu possible par le fait que les émotions et les marchandises sont désormais coproduites, jusqu'à générer un type de produits tout à fait inédit et jusqu'à présent jamais étudié : les marchandises émotionnelles.
Cet ouvrage collectif, initié et dirigé par Eva Illouz, montre brillamment comment ces nouvelles marchandises - produites par des industries aussi diverses que celles du tourisme, de la musique, du cinéma, du sexe ou des psychothérapies - entendent transformer et améliorer le moi. Il met ainsi le doigt sur une caractéristique majeure de nos sociétés, interrogeant avec profondeur - en se gardant de tout jugement - l'authenticité de l'individu moderne. Une réflexion fondamentale, qui ouvre un nouveau champ de recherches et jette une lumière éclatante sur nos modes de vie.
« Après avoir passé un doigt sur la surface du texte pour en apprécier le niveau de grain, lire. Une première fois. Résonance du choc. Dégringolade en pied de page.
On a lu pourtant, et reconnu les grands équilibres, la structure grammaticale ou la tonalité de sa langue maternelle. Mais on n'a rien compris.
On recommence, on repasse.
On pose ses coudes de part et d'autre, il faudra bien que le texte s'attable.
Mais pour y parvenir, il ne suffira pas, même si c'est indispensable, de l'attaquer bille en tête, de le bloquer entre ses coudes et de se prendre la tête à deux mains. Il faudra ruser avec lui : le traiter comme un sujet, comme un oeil qui vous voit, comme un corps qui vous sent. Tourner autour, le lire dans toutes les pièces et toutes les positions, le maltraiter et le surprendre, le faire rire, le séduire. Alors il vous donnera tout, ou presque. »